Les réactions nucléaires  
     
   
     
  Le modèle optique  
     
 
Le modèle optique est une approche de la diffusion nucléon-noyau dans laquelle le nucléon incident interagit avec un potentiel complexe représentant son interaction avec l'ensemble des nucléons qui constituent le noyau cible.
 
     
 
Comme la diffusion d'un nucléon sur un noyau se passe à l'échelle subatomique, c'est la mécanique quantique qui régit ce phénomène. Le nucléon projectile est décrit comme une fonction d'onde. Cette onde, réfractée par le potentiel représentant le noyau cible, interfère avec l'onde incidente en produisant des figures de diffraction telles que celles représentées sur la figure ci-contre. De plus, l'onde associée au projectile est partiellement absorbée par la partie imaginaire du potentiel optique, figurant toutes les voies non traitées explicitement.
 
Figure 1 : Sections efficaces différentielles de diffusion élastique sur une cible d'Uranium 238 pour des neutrons d'énergies incidentes de 3, 4, 8 et 14 MeV. Les données expérimentales sont représentées par les points et les calculs issus de l'approche semi-microscopique par les courbes en traits pleins.
 
 
 
     
 
Le nom de modèle optique vient de l'analogie entre une onde lumineuse qui rencontre un objet et un projectile nucléaire qui rencontre un noyau cible. La difficulté du modèle optique consiste, pour une cible donnée et un projectile d'une énergie donnée, à connaître le potentiel complexe qui, introduit dans l'équation de Schrödinger décrivant le mouvement du projectile, reproduit les observables expérimentales.
 
     
 
Pour cela, deux approches sont possibles :
 
 
 
l'approche semi-microscopique, qui cherche à évaluer, a priori, le potentiel optique, à partir d'ingrédients les plus fondamentaux.
 
l'approche phénoménologique, où le potentiel est construit à l'aide de fonctions simples dont les paramètres sont ajustés de façon à reproduire le plus fidèlement possible diverses données expérimentales.
 
     
  L'approche semi-microscopique  
     
 
Une des façons de calculer le potentiel optique, utilisée avec succès dans le passé, consiste à séparer le problème en deux sous problèmes plus simples. Ainsi, la description de l'interaction d'un projectile avec l'ensemble des nucléons constituant le noyau cible peut se décomposer en une description de la structure du noyau cible et une description de l'interaction du projectile avec les nucléons de la cible : l'interaction effective. Cette interaction est dite effective parce qu'elle diffère d'une interaction nucléon-nucléon nue par le fait qu'elle prend en compte des effets de milieu, comme le blocage de Pauli, qui s'applique à un ensemble de fermions en interaction, ainsi que des excitations des nucléons de la cible, dues au projectile.
 
     
 
Pour simplifier encore la résolution du problème, les potentiels optiques microscopiques sont souvent calculés dans la matière nucléaire infinie (où les symétries permettent d'importantes simplifications) et, ensuite, appliqués aux noyaux finis par l'opération appelée :approximation de la densité locale (Local Density Approximation, ou LDA). Celle-ci consiste à approcher le potentiel, créé localement sur le projectile (portée nulle) par un morceau de noyau cible de densité donnée, par le potentiel optique dans la matière nucléaire correspondant à cette même densité.
 
     
 
La difficulté du calcul du potentiel optique pour un noyau fini est donc séparée en deux sous problèmes plus simples :
 
 
 
la connaissance du potentiel optique U(r) dans la matière nucléaire de densité r
 
la connaissance de la densité nucléaire radiale ρ(r) pour un noyau donné.
 
 
Il ne reste plus ensuite qu'à combiner ces informations par une convolution simple.
 
     
 
Le potentiel optique que nous utilisons, provient d'une extension des travaux de Jeukenne, Lejeune et Mahaux dans les années 70. Il est fondé sur une interaction effective construite dans le formalisme Brückner-Hartree-Fock à partir d'une interaction nucléon-nucléon nue. L'intervalle de validité de cette approche a été étendu jusqu'à 200 MeV, et des facteurs de normalisation des profondeurs des potentiels dépendant de l'énergie incidente du projectile ont été appliqués de manière à optimiser l'accord des calculs avec les données expérimentales. Ces facteurs de normalisation, ajustés de façon phénoménologique, font de notre approche une approche semi-microscopique, puisqu'ils ne sont pas issus de calculs théoriques mais de comparaisons avec des données expérimentales. Il faut cependant noter qu'avec ces normalisations, il est possible de prédire avec une bonne précision les observables calculables à partir du potentiel optique (section efficace différentielle de diffusion élastique, section efficace de réaction) pour les noyaux cibles sphériques de masse supérieure à 40 et pour une énergie de projectile (proton ou neutron) allant de 1 MeV à 200 MeV. Ces facteurs de normalisation ayant été fixés une fois pour toutes, il n'y a pas de paramètres à ajuster pour effectuer une prédiction.
 
     
 
Figure 2 : Sections efficaces différentielles de diffusion élastique (rouge) et inélastiques (bleu, vert, orange) sur une cible de Gadolinium 155 pour des neutrons d'énergie incidente de 4,1 MeV. Les données expérimentales sont représentées par les points et les calculs issus de l'approche semi-microscopique par les courbes en traits pleins.
Figure 3 : Sections efficaces différentielles de diffusion élastique (rouge) et inélastique (vert) sur une cible d'Argon 44 pour des protons d'énergie incidente de 33,2 MeV. Les données expérimentales sont représentées par les points et les calculs issus de l'approche semi-microscopique par les courbes en traits pleins.
 
Le second ingrédient important pour le potentiel optique est la densité radiale de matière ρ(r). Celle-ci est calculée dans l'approximation Hartree-Fock-Bogoliubov (HFB) basée sur la force de Gogny. De nombreuses comparaisons ont montré l'excellente prédiction des calculs HFB avec la force de Gogny en ce qui concerne les distributions radiales de charge pour une large gamme de noyaux. De plus, ces calculs de structures nucléaires sont réalisés sans paramètres ajustables, et peuvent être effectués quel que soit le noyau, y compris dans un état excité, ce qui permet de calculer le potentiel semi-microscopique pour n'importe quelle cible.
 
Notons enfin que l'approximation LDA utilisée dans notre approche est une extension de celle décrite plus haut. Elle n'est pas de portée nulle, mais est calculée avec une portée gaussienne d'environ 1,3 fm.
 
De nombreuses extensions ont été réalisées. Le potentiel a été étendu non seulement au cas des noyaux déformés rotateurs rigides comme les actinides (figure 1) ou les terres rares (figure 2), mais aussi au cas des noyaux "mous", déformables (vibrateurs) comme l'argon (figure 3). Dans tous les cas, notre potentiel optique semi-microscopique s'est révélé être un outil précieux pour l'interprétation des données expérimentales. Il constitue un pont entre les informations expérimentales de diffusion de nucléons et les calculs de structure nucléaire théorique.
 
     
 
La symétrie d'isospin (nombre quantique qui différencie les protons et les neutrons) qui impose une relation entre le potentiel calculé pour un proton incident et celui calculé pour un neutron incident a elle aussi été prise en compte. Elle permet de réaliser des tests plus fins (figure 4) sur la partie du potentiel qui dépend du rapport neutron/proton dans le noyau cible, et constitue un garde-fou théorique supplémentaire pour l'utilisation de notre potentiel loin de la vallée de stabilité.
 
Figure 4 : Sections efficaces différentielles de diffusion quasi-élastique (p,n) sur une cible de Zirconium 90 pour des protons d'énergie incidente de 25, 35 et 45 MeV. Les données expérimentales sont représentées par les points et les calculs issus de l'approche semi-microscopique par les courbes en traits pleins.
 
 
 
     
  L'approche phénoménologique  
     
 
Figure 5 : Sections efficaces totales obtenues avec les potentiels optiques phénoménologique (rouge) et semi-microscopique (bleu) pour un neutron incident sur une cible de Plomb.
Figure 6 : Sections efficaces totales obtenues avec les potentiels optiques phénoménologique (rouge) et semi-microscopique (bleu) pour un neutron incident sur une cible d'uranium 238.
 
Lorsque la quantité de données expérimentales (sections efficaces différentielles de diffusion élastique, section efficace totale, section efficace de réaction …) est suffisante, la préférence va à la paramétrisation d'un potentiel optique phénoménologique. Ce type de potentiel est généralement construit à l'aide de puits dont les formes sont des fonctions de Woods-Saxon (ou dérivées de ces fonctions) et dont la profondeur, le rayon et la diffusivité sont des paramètres à ajuster relativement à l'énergie du nucléon incident.
 
 
L'ajustement de ces paramètres (encore appelé paramétrisation ou construction du potentiel optique) est réalisé sur la base de la meilleure reproduction des données expérimentales disponibles. Comme on peut le voir sur les figures ci-contre, l'accord avec les données expérimentales est bien meilleur qu'avec un potentiel optique semi-microscopique qu'il s'agisse d'un noyau sphérique (figure 5) ou déformé (figure 6). Il est ainsi possible de décrire chaque noyau très précisement. Cependant, dans notre approche, l'accent est mis sur la diminution du nombre de paramètres. C'est ainsi que la géométrie (rayon et diffusivité) des potentiels ne dépend pas de l'énergie. Pour ce faire, le maximum d'informations physiques doivent être introduites.
 
     
 
  Consultez les expériences associées : Carmen au CEA/DAM Île-de-France