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  Novembre 2003 : Une nouvelle donne pour l'uranium 238  
     
 
Une nouvelle évaluation des sections efficaces neutroniques sur le noyau d'uranium 238 a été réalisée dans le Service de Physique Nucléaire. Ces nouvelles données, évaluées à partir de modèles théoriques de réactions nucléaires, peuvent être utilisées pour simuler des expériences intégrales.
 
     
 
Lorsqu’un neutron (projectile) entre en collision avec un noyau d’uranium (cible), plusieurs phénomènes peuvent se produire avec des durées plus ou moins longues selon le type de mécanisme d’interaction entre ces deux entités. On distingue en fait trois types de mécanismes.
 
 
 
Les plus courts (10-21 seconde, ce qui correspond au temps mis par le neutron pour traverser le noyau cible) sont les mécanismes d’interaction directe tels que la diffusion élastique et la diffusion inélastique directe.
 
Le mécanisme le plus long (10-16 seconde) est celui de formation d’un noyau composé. Dans ce cas, le neutron est absorbé par le noyau cible pour former un système composite. La relative lenteur du processus correspond au temps nécessaire pour transformer toute l’énergie cinétique du neutron incident en énergie d’excitation, c’est-à-dire à répartir uniformément cette énergie entre tous les nucléons du système composite. Le noyau devient alors un noyau composé, dit « à l’équilibre thermodynamique ».
Ce noyau composé peut céder l’énergie qu’il vient de recevoir, en émettant des rayonnements γ, on parle de capture radiative. Il peut aussi émettre un neutron, redonnant ainsi le noyau cible initial. On parle dans ce cas de diffusion inélastique composée. Parmi toutes les aventures qui peuvent lui arriver, le noyau composé peut également se scinder en deux plus petits noyaux, on parle alors de fission. Chacun de ces différents processus s’appelle une voie de réaction.
 
Intermédiaires entre ces deux types, les processus d’émission de pré-équilibre (γ, neutron, proton, …) ont lieu avant que le système composite susdit n’ait eu le temps d’atteindre l’équilibre thermodynamique.
 
     
 
Les modèles décrivant les voies de réaction sont de nature probabiliste. Les modèles de réactions nucléaires (modèle optique, modèle statistique et modèle de pré-équilibre) inhérents aux trois types de mécanismes décrits ci-dessus nous permettent de calculer la probabilité d’occurrence, plus précisément dénommée section efficace, de chacune de ces voies de réaction.
 
     
 
Nous avons étudié les isotopes de l’uranium dans le but d’évaluer les sections efficaces des réactions neutroniques. Il s’agit d’être capable d’évaluer toutes les sections efficaces relatives à toutes les voies ouvertes en n’utilisant que des modèles de réactions nucléaires, pour l’ensemble des isotopes d’un même élément. Pour les isotopes d’uranium, la voie de fission est primordiale puisqu’elle est à l’origine du fonctionnement des réacteurs et des armes nucléaires. De ce fait, ce phénomène doit être minutieusement modélisé. Et parvenir à décrire avec précision les sections efficaces de fission expérimentales est un sérieux défi.
 
     
 
Pour cette raison, nous avons utilisé un modèle de pénétration de barrière à trois bosses. Le noyau composé, en marche vers la fission, va se déformer, et posséder une énergie de liaison plus ou moins importante selon son état de déformation. Lorsqu’on représente l’évolution de cette énergie de liaison en fonction de la déformation du noyau, il apparaît (figure 1) des bosses que le noyau doit franchir par pénétration quantique et des puits au sein desquels le noyau peut « séjourner et souffler » un peu durant sa marche vers la fission. Pour se fissionner, certains noyaux se contentent d’une pause (barrière à 2 bosses) alors que d’autres en font deux (barrières à 3 bosses). Le premier puits correspond à un noyau dit Normalement Déformé [ND], le deuxième à un noyau dit Super Déformé [SD] et le troisième à un noyau Hyper Déformé [HD]. Ce modèle de fission à 3 bosses, pour être valable, doit permettre une description précise des sections efficaces de fission mesurées.
 
 
Figure 1 : Evolution de l’énergie de liaison du noyau 239U (n + 238U).
 
 
 
Nous avons donc confronté notre modèle aux résultats expérimentaux publiés dans la littérature. La figure 2 montre que les sections efficaces de fission des isotopes d’uraniums ont un comportement semblable à ceux du protactinium et du thorium pour lesquels l’existence de barrières à 3 bosses est communément admise. Les pentes des sections efficaces de fission des noyaux supposés avoir une barrière à deux bosses (240Pu, 242Pu, 243Am et 244Cm) sont plus fortes que celles des noyaux supposés avoir une barrière à trois (237U, 232Pa, et 233Th). L’isotope 239U (n + 238U) semble appartenir à ce dernier groupe.
 
 
Figure 2 : Pentes (normalisées) des sections efficaces de fission expérimentales au voisinage du seuil pour différents actinides.
 
 
     
 
 
Notre modèle est par ailleurs capable de représenter les structures résonnantes (figure 3) dans la section efficace de fission à basse énergie. Ce parfait accord entre calcul et expérience repose aussi sur une bonne maîtrise des prédictions des autres voies de réaction existantes.
 
Figure 3 : Section efficace de fission induite par neutron entre 1 keV et 30 MeV. Comparaison entre calcul (courbe rouge) et expérience (points cyans).
 
 
     
 
Pour un isotope donné, toutes ces sections efficaces sont rassemblées dans un même fichier pour être utilisées ensuite dans les logiciels de simulation du transport des neutrons. L’ensemble de ces données doit cependant être validé. Pour cela, elles doivent être capables de reproduire les résultats d’expériences intégrales, comme le facteur de multiplication pour les expériences de neutronique auprès des réacteurs. C’est aujourd’hui le cas pour les isotopes 236, 237 et 238 de l’uranium, grâce à la validation réalisée dans plusieurs laboratoires, permettant ainsi à nos évaluations de rejoindre la librairie de référence européenne JEFF (Joint European Fission and Fusion). L’isotope 235 devrait suivre bientôt.
 
     
 
Ce résultat est le fruit d’une collaboration d’un laboratoire de la DEN et de la DAM, et surtout du travail essentiel d’une post-doctorante franco-espagnole.
 
     
 
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